Ombres d’automne

un bel ombre de la Murg en Allemagne
Ombre commun. Thymallus thymallus

Thymallus thymallus  est le nom latin de l’ombre commun, seul représentant de la famille des thymallidés, proche des salmonidés. Il se caractérise par une grande nageoire dorsale, d’où son surnom de porte étendard. Il est depuis longtemps un poisson qui me fascine. J’aime par dessus tout le pêcher en automne, au point que je lui ai consacré un livre il y a quelques années, ombres d’automne. En voici un extrait, tiré du chapitre consacré au mois d’octobre:

 » Me voici face à la sortie des eaux traitées par la station d’épuration. Paradoxalement j’aime cet endroit où l’ingéniosité et la responsabilité des hommes permettent à la gent piscicole de résister à la modernité du siècle et à ses déchets. Sous l’encore épaisse voûte des arbres l’eau paraît si sombre, presque noire dans son contraste avec les pierres claires du bord. Je m’avance, sans faire de vagues, et me place,  à la limite des waders, légèrement à l’amont. J’observe le courant, les remous, les brindilles et les feuilles qui dérivent. Je devine les bonnes veines d’eau. Il y a bien quelques moucherons qui volètent de ci de là, mais rien qui ne justifie une activité. Je tente ma chance avec ma nymphe vers l’aval, sans la moindre tirée. Un petit « splash » sur ma gauche, tout contre cette grosse pierre, met mes sens en éveil. J’aurais juré que c’était un gobage. Depuis quelques minutes cela me démangeait de me mettre en sèche. La nymphe ne donne rien, alors s’il ne devait y avoir qu’un gobage autant qu’il soit sur ma mouche ! Je coupe le fil et rallonge mon bas de ligne.

Je choisis un petit cul de canard], avec une collerette dans les tons gris et  rosé, qui le distingue des bulles et des feuilles jaunes qui valsent autour de lui. Après deux lancers je le pose contre la pierre, mais rien ne se passe. Je l’ai peut être quand même seulement rêvé ce gobage ? Essayons le courant principal. Une montée en bout de course me surprend et je ferre dans le vide. Déçu, mais rassuré sur la présence de poissons,  je m’applique et refais plusieurs passages. Un gobage, celui-là aussi discret soit-il, je l’ai bien vu, se produit à la limite du calme de bordure et du courant. Mais des feuilles tombent en vrille,  et mes lancers deviennent chaotiques.

Après plusieurs posers hasardeux, la mouche tombe au bon  endroit, suit avec bonheur le vagabondage des vaguelettes l’entraînant dans la zone propice. Scénario idéal. Gobage franc sur ma mouche. Bingo ! Ferrage, ferme mais sans brutalité. Pendu! Cette fois ci c’est bel et bien un ombre, un magnifique thymallus[ qui me gratifie d’une chandelle puis d’un piqué vers l’aval, toutes nageoires déployées. Il se bat avec l’énergie du condamné. Il donne des coups de tête de gauche à droite pour essayer de se débarrasser du piquant.

Je préviens ses départs en inclinant la canne dans le sens opposé de la fuite. Elle plie spectaculairement, mais j’ai confiance, elle en a vu d’autres… Le temps suspend son vol et ces quelques instants me paraissent une éternité.

La rage de survie n’a pas suffi. Il le sait, il sent qu’il a affaire à un prédateur différent. Quelqu’un qui lui oppose ruse et technique au lieu de l’assommer, le piquer ou le mordre. L’ayant obligé à se rapprocher de moi, je peux le contempler. Superbe, furieux, nerveux et en même temps si délicat, fragile avec ses yeux étonnés. Devant l’épuisette il regagne de la vigueur et repart de plus belle. Je reprends le contrôle, doucement. Ne pas le brusquer ! Voilà, je le fais glisser au-dessus du filet. Il voudrait repartir mais les forces lui manquent. Je savoure l’instant. Je veux le toucher, lui ôter la mouche. L’hameçon sans ardillon sort facilement de sa bouche. Il me regarde, toujours étonné de ce qui lui arrive. Je le regarde et je l’admire.

Il est vraiment magnifique. Je le tiens contre ma canne. D’après mes repères il fait trente cinq centimètres. Il est plutôt longiligne, mais pas maigre. Il porte très peu de points noirs et sa livrée est d’argent. Sa grande dorsale est rouge bordeaux et  prune comme les plumes d’un paon. C’est avec émotion que je me reconnais en lui, un être vivant qui se bat pour se nourrir et ne pas mourir.

Un dernier regard et c’est avec fierté que je lui rends sa liberté. Il semble surpris de se retrouver dans son milieu et descend se poser sur le  fond. Paraissant prendre conscience de cette grâciation, à quelques centimètres de ma chaussure, ce vaillant opposant restera un long moment immobile à mes côtés comme pour me remercier de lui laisser la vie sauve. Puis, quand  il s’éloignera,  il ne restera  plus que l’ombre de cet ombre commun.

Car c’est ainsi qu’on le nomme, ce joyau de la Bruche.  Cette appellation est quand même paradoxale pour un  poisson si délicat, fin et  racé, en un mot si exceptionnel ! Et pas plus qu’il n’est commun, il ne mérite le masculin. Le féminin  lui siérait mieux, s’agissant d’une grande dame des eaux vives et non  d’un quelconque hobereau.

Je reprends mes esprits, puis ma quête jamais assouvie. Des feuilles mortes tournoient au-dessus de ma tête. « 

Ombres d'automne, un livre écrit par l'auteur, Claude Behr, en 2009

J’ai publié ce livre en 2009. Il est consacré à la quête d’un pêcheur à la mouche de la Bruche à travers les saisons. Vous y lirez quelques anecdotes et diverses réflexions sur la pêche à la mouche, l’art et la nature. Vous y découvrirez quelques coins de pêche en Alsace, mais aussi en France et à l’étranger.

En 10 ans beaucoup d’eau a coulé sous les ponts mais la situation de l’ombre commun s’est sérieusement dégradée dans toute l’Europe. Prédation des cormorans, dégradations des milieux, réchauffement climatique, diminution considérable des insectes qui constituent sa nourriture de base, l’espèce est même désormais menacée en Europe. En 2019 sa population a chuté considérablement et il est essentiel que les pêcheurs à la mouche remettent délicatement à l’eau les ombres communs qu’ils ont la chance encore de pouvoir pêcher à la mouche.

Si vous êtes intéressé par l’achat du livre, vous pouvez vous le procurer chez Decitre ou Amazon, où vous pouvez également vous procurer la version numérique. Début 2019, quelques rares exemplaires étaient encore disponibles dans le Bas-Rhin chez Jacky (Fario à Dorlisheim), Dans le Haut-Rhin chez Passion Pêche à Neuf-Brisach) et chez PLC à Colmar. Et enfin, il m’en reste quelques (rares) exemplaires dans ma boutique en ligne.

Ce qu’en a dit la critique

 » Ombres d’automne », c’est le titre de l’ouvrage de Claude Behr. Très bien écrit et bourré de références, ce petit livre se déguste comme un apéritif, au coin du feu. Article paru dans la revue Pêche Mouche de janvier -février 2010

« Les tribulations d’un pêcheur alsacien « . Depuis vingt-sept ans, Claude Behr déroule sa passion de la pêche à la mouche le long de la Bruche, une rivière alsacienne qu’il connaît comme sa poche. Mêlant humour, connaissances des poissons et de leur milieu, et réflexions sur une vie de pêcheur, ce livre égraine, mois après mois, la passion d’un homme pour un obscur objet du désir : la pêche. L’auteur délivre également une déclaration d’amour à la nature, théâtre de tous ses souvenirs halieutiques. Ainsi, il évoque sa rivière avec tendresse : « La vallée de la Bruche est toujours belle en ce mois qu’on dit joli [mai]. Les verts dominent les paysages, inondent les prairies qui se constellent du jaune des boutons d’or et des fleurs de pissenlits ». Claude Behr aime sa rivière et nous donne également envie de s’y perdre avec lui. Article paru dans Pêches sportives n° 82 de janvier-février-mars 2010

ombre de la Bruche
Ombre commun (thymallus thymallus) de la Bruche